Le Père Samih Raad à Fribourg (© Jacques Berset)
« La guerre a été un enfer pour nous. Tous les chrétiens ici ont pensé à quitter le pays », confie Marielle Boutros, coordinatrice des projets d' « Aide à l’Église en Détresse (ACN) » au Liban.
Les combats entre Israël et le mouvement chiite Hezbollah, qui a fait au Liban bien plus de 4'000 morts, quatre fois plus de blessés et d’immenses destructions, n’a pas épargné les chrétiens et les autres communautés. « La guerre a été un enfer pour nous. Tous les chrétiens ici ont pensé à quitter le pays », confie Marielle Boutros, coordinatrice des projets de la fondation internationale « Aide à l’Église en Détresse (ACN) » au Liban. De passage en Suisse romande à l’invitation de la section suisse d’ACN, le Père Samih Raad le confirme, mais tient à souligner la solidarité qui a uni le peuple libanais comme jamais.
Déjà lors des explosions de bipeurs et de talkies-walkies piégés par les Israéliens qui, les 17 et 18 septembre 2024, ont fait 32 morts et 3’000 blessés à travers tout le Liban, la population libanaise a répondu comme un seul homme: les gens se sont rendus en masse dans les hôpitaux pour donner leur sang. Les médecins, aussi dans les hôpitaux catholiques, ont travaillé 24h sur 24 pour tenter de sauver les personnes mutilées par les explosions.
« Chiites, sunnites, chrétiens ont mêlé leur sang, dans un grand élan d’unité nationale », souligne le Père Samih Raad, depuis septembre 2017 curé de la Communauté de paroisses de sainte Catherine de Hombourg, en Moselle, à quelques encablures de la frontière allemande. Et le prêtre grec-catholique melkite d’estimer que cette unité du peuple s’est démontrée une nouvelle fois quand les populations, notamment les chrétiens toutes obédiences confondues, ont répondu aux appels de leurs chefs religieux quand les déplacés des villages du Sud du Liban, des quartiers chiites de Beyrouth ou des villages de la Bekaa sont arrivés dans leur région. Les chrétiens ont ouvert écoles, dispensaires, hôpitaux, couvents pour les accueillir, sans distinction.
Villages libanais rasés au sol par les bombardements Israéliens (© ACN)
800 déplacés internes ont trouvé refuge dans le monastère des sœurs de Jabboulé (© ACN)
Les religieuses de Notre-Dame du Bon Service de Jabboulé, dans le nord de la Bekaa, ont transformé leur monastère en refuge pour des centaines de personnes fuyant les bombardements et la destruction de leur maison. Mère Joselyne Joumaa, supérieure générale de la Congrégation, confie que les sœurs ont ouvert les portes de leur monastère, mais aussi de l’école et de l’orphelinat qu’elles gèrent.
Les quinze religieuses appartenant à l’Église grecque-melkite catholique y accueillent les déplacés internes, majoritairement des musulmans chiites, leur offrant non seulement un abri, mais aussi réconfort et soutien. Certains d’entre eux ont tout perdu, et tous sont marqués par la peur, voire le traumatisme, causés par la violence des bombardements et survivent grâce à l’aide fournie par ACN. En temps de paix, l’école du monastère enseigne sans distinction à des enfants de toutes confessions, ce qui a permis aux religieuses de tisser des liens étroits avec la communauté musulmane environnante.
Mgr Hanna Rahmé, évêque de l’archéparchie maronite de Baalbek-Deir El-Ahmar, dans la vallée de la Bekaa, souligne lui aussi l’engagement des chrétiens envers les déplacés contraints de fuir leurs foyers sous les bombes. Malgré leur opposition politique à l’armement du Hezbollah, Mgr Rahmé relève l'accueil chaleureux que les chrétiens de Deir el-Ahmar réservent à ces déplacés, affirmant qu’ils agissent selon leur foi en offrant un refuge à ceux qui craignent pour leur vie. Près de 13’000 déplacés ont été accueillis et principalement logés dans des écoles et les maisons des familles locales.
« Cette solidarité sans discrimination montre que l’humanité est plus importante que la libanité, souligne le Père Samih Raad, car nous ne sommes pas chrétiens seulement pour nous-mêmes, mais pour tous les hommes ». Le Christ a dit : « j’avais faim, et vous m’avez donné à manger ; j’avais soif, et vous m’avez donné à boire ; j’étais un étranger, et vous m’avez accueilli’. Les musulmans sont vraiment touchés par cette solidarité chrétienne », relève pour sa part Mgr Rahmé.
Mgr Hanna Rahmé (© Ismael Martínez Sánchez / ACN)
Depuis la crise économique et financière de 2019 qui a réduit la grande majorité de la population libanaise à la pauvreté, la population diplômée – médecins, infirmières et infirmiers, professeurs, ingénieurs - cherche à émigrer vers l’Europe ou le Canada. Cela touche en premier lieu les chrétiens, qui sont en principe bien formés. Aujourd'hui encore, beaucoup de gens font face à de grandes difficultés et la situation est loin d'être facile : souvent, à la fin du mois, l'argent ne suffit même plus pour acheter de la nourriture. La valeur du salaire a été divisée par dix depuis 2019.
Avant, note le Père Samih, c’étaient les hommes qui partaient, maintenant, ce sont des familles entières. « Les jeunes familles partent, et si cela continue, il ne restera plus sur place que les gens de notre génération… » Le patriarche maronite Béchara Raï s’est lui aussi inquiété de l’ampleur de l’émigration des chrétiens, les appelant à inscrire leurs enfants nés hors du Liban auprès des ambassades du Liban à l’étranger et exhortant ceux qui émigrent à ne pas vendre leurs terres.
Avec l’élection à la présidence de Joseph Khalil Aoun depuis le 9 janvier 2025 - le pays était sans président depuis plus de deux ans en raison des profondes divergences entre blocs politiques -, un certain espoir est revenu au Liban. Sur le terrain, cependant, les troupes israéliennes, ne respectant pas l’accord de cessez-le-feu conclu en novembre les engageant à quitter le sol libanais dimanche 26 janvier, ne vont pas le faire avant le 18 février. Dimanche et lundi, les soldats israéliens ont tiré sur les civils tentant de rentrer dans leurs villages dévastés, faisant au moins 24 morts, dont un certain nombre de femmes, et blessé quelque 130 personnes. Et nombre de villages frontaliers ont été rasés au sol par les Israéliens, comme Aïta al-Chaab, détruit quasiment à 100%.
La guerre a privé beaucoup de gens de leurs moyens de subsistance : « De nombreuses personnes ont perdu leur emploi. Dans le sud, des forêts et des champs - dont ceux de nombreux chrétiens - ont été détruits par des bombes au phosphore blanc, dangereux à cultiver pour les années à venir. L’armée israélienne continue de dynamiter des maisons et de détruire des infrastructures dans l’espoir que les populations déplacées ne reviendront pas. Les bombardements sporadiques se poursuivent dans le Sud du pays. »
Le Père Samih Raad a le ferme espoir que la solidarité nouvelle née de cette épreuve ne soit pas étouffée par les « élites » politiques en place depuis des décennies qui ne pensent qu’à leurs propres intérêts, pas à ceux d’un peuple qui souffre. Il salue l’aide importante apportée aux communautés chrétiennes par ACN, notamment le soutien aux écoles catholiques, car de nombreuses familles ne peuvent pas payer les frais de scolarité de leurs enfants, avec pour conséquence qu’il n’y a plus d’argent pour payer les salaires des enseignants. Et la formation aux valeurs dans ces écoles, qui accueillent des enfants de toutes les communautés, est essentielle pour l’avenir du pays. JB
Le Père Samih Raad devant son presbytère de Hombourg Haut (© Jacques Berset)
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